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Les Stratégies de la psychanalyse dans les institutions
Juin 2005

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Editorial

Bernard Seynhaeve, RI 3, essaim de S 1

Les stratégies de la psychanalyse dans les institutions

XIII ème Rencontre Internationale du Champ freudien

Rencontre PIPOL — Simultanée du RI 3

Antonio Di Ciaccia, A propos de la pratique à plusieurs

G. Esebbag et S. Brignoni (Barcelone), Comment extraire des enfants de la catégorie réductrice des « maltraités »

S. Bengochea et G. Poblome (Le Courtil, Leers-Nord), Une institution, à la hauteur de la tâche du sujet ?

Daniele Maracci (I Due Pini, Bologne), Roberta, la jeune fille gabber .....

B. Boudard, B. de Halleux et V. Baio (L'Antenne 110, Bruxelles), Naissance d'un sujet pas sans partenaires orientés

Yves-Claude Stavy (Hôpital de jour d'Aubervilliers), « moi qui brûlé ma vie »

Maryse Roy (L'Ile Verte, Bordeaux), Un nouage

Jean-Pierre Rouillon (CTR de Nonette), De la clinique à la politique .......

C. Alberti, L. Naveau et J.-D. Matet, Un psychanalyste dans l'institution et la psychanalyse dans l'institution

Monique Kusnierek, Conclusion

Relance

Monique Kusnierek, Un autre usage de la langue

Jean-Robert Rabanel, Nonette : une pratique orientée par la psychanalyse

Abstracts


RI 3, essaim de S 1

Bernard Seynhaeve

Lors de la Rencontre PIPOL en juin 2003, nous avons été appelés à nous expliquer sur le mode d’inscription du RI 3 dans le champ de la psychanalyse appliquée à la thérapeutique*. D’où le titre : « Les stratégies de la psychanalyse dans les institutions ». Ce numéro des Feuillets du Courtil rend compte du travail produit dans cette « simultanée ».

Balisons le terrain d’investigation. Dans l’argument de la simultanée rédigé par Jean-Robert Rabanel, nous trouvons les précisions suivantes : deux axes sont à distinguer quand est posée la question du rapport de la psychanalyse et de l’institution. L’un concerne la présence de psychanalystes dans les institutions, l’autre la place que la psychanalyse occupe dans les institutions. C’est sur ce second axe que s’inscrivent les institutions du RI 3 .

Précisons. Nous avons une fois encore été conviés à rendre compte de notre praxis. Je dis une fois encore parce que cela fait longtemps que les institutions du RI 3 se sont engagées à rendre compte de cette clinique particulière que Jacques-Alain Miller a remise en valeur.

Il y a douze ans déjà, l’Antenne 110 organisait ses premières journées de rencontres. Cet espace-temps rend ainsi possible d’esquisser après coup l'orientation de notre clinique.

J’épinglerai pour ma part quatre scansions logiques de notre cheminement. Certaines de ces scansions sont des nominations après coup d’une pratique passée. Ces nominations ont eu par la suite des effets d’actes sur notre clinique. En même temps, chaque nomination a eu pour effet de nous inciter à préciser davantage notre orientation.

L’enseignement tiré des surprises du sujet

L’enseignement tiré des surprises du sujet correspond à ce temps où, taraudés par un désir de comprendre la psychose infantile, nous nous laissions enseigner par les constructions du sujet. C’est ce temps où nous tentions de saisir comment les enfants se servaient de nous comme de partenaires face à leur insupportable, comment aussi ils pouvaient trouver sans le Nom-du-Père à s’appuyer sur l’institution pour traiter la jouissance mauvaise. C'est aussi le temps où nous produisions un effort de formalisation dans nos réunions cliniques, dans nos publications, dans nos rencontres, en confrontant le matériel clinique aux concepts de Freud et de Lacan. A cet égard, le second enseignement de Lacan mis en valeur par Jacques-Alain Miller fut pour nous une formidable ouverture.

La pratique à plusieurs

Ceci rendit possible le surgissement dans le Champ freudien d’un signifiant nouveau, la pratique à plusieurs , que nous devons à Jacques-Alain Miller, signifiant qui fait valoir la dimension de partenaires du sujet face à la toute-puissance de l’Autre. Ce signifiant nouveau fit apparaître de façon saisissante que la pratique à plusieurs n’a rien à voir avec ce que l'on rencontre à l'occasion dans une équipe pluridisciplinaire composée de spécialistes invités à faire usage du savoir constitué, appris à l'université pour agir sur le symptôme de l’enfant. La pratique à plusieurs est le corollaire de la clinique du un par un au RI 3 . Dans chaque institution selon son style, c’est tout le fonctionnement qui est ainsi pensé dans une logique de partenariat avec le sujet pour tenter de dire que non à la jouissance, pour que se tisse une forme de lien social. La pratique à plusieurs est un concept nouveau et singulier qui définit la position des intervenants de l’institution. Elle parie sur les découvertes et les inventions de chacun, tant les enfants que les intervenants. Elle accueille le savoir qui émerge dans le temps de la création. Le « savoir ne pas savoir » révélé par Virginio Baio constitue à cet égard une des conditions nécessaires mises en valeur par l’institution pour que puisse émerger la construction et l’invention du sujet.

Les points d’ancrage

Les points d’ancrage (signifiant ici encore produit par Jacques-Alain Miller) et les inventions du sujet sans le Nom-du-Père ont ainsi fait l’objet de l’une de nos rencontres où nous avons mis en évidence les multiples bricolages (selon l’expression de Jacques-Alain Miller) des enfants qui trouvent abri dans nos institutions. Sans le Nom-du-Père, sans le trait unaire, le sujet reste encombré de l’objet a , en prise à la jouissance mortifère de l’Autre. Comment alors, en tant que partenaire du sujet, faire barrage à ce qui se déchaîne dans cet excès de jouissance ? Notre idée au RI 3 n'est pas d'appliquer la pédagogie de l’addition, du plus — comme le soulignait Daniel Roy lors d’une conférence au Courtil — consistant à inculquer à l’enfant des signifiants-maîtres supplémentaires. Notre clinique serait plutôt une clinique du moins, de la soustraction de l’objet, soit une pratique qui consiste à localiser la jouissance en trop par un effort de nomination.

La clinique du potiron

A cet égard, la clinique du potiron constitue la quatrième scansion de la lecture que je fais de notre marche en avant. La clinique du potiron est un signifiant qui a émergé lors du débat de nos dernières Journées du RI 3 en février 2003 à Bruxelles. Je dirais que c’est là où nous en sommes aujourd’hui. Je m’explique. Le potiron est cet objet de prédilection choisi par un sujet au travail dans une institution bruxelloise 1 . Il se présente pour le sujet sur un double versant, celui de l’objet et celui de la lettre. Il a ainsi la vertu de traiter la jouissance envahissante du sujet et de produire des effets d’apaisement.

Sur le versant de l’objet, le potiron occupe et préoccupe le sujet. Le sujet l'investit, le libidinalise. Il se présente comme objet condensateur de jouissance. Le sujet l’accommode à toutes les sauces. Il en fait des potages, il les sculpte et les creuse pour en faire des lanternes effrayantes lors de la fête d’Halloween, il en recueille les pépins et s’applique soigneusement à réussir des semis pour s’assurer une récolte pour la nouvelle saison. Il répète ainsi la séquence.

Sur le versant de la lettre, le potiron constitue un signifiant asémantique que toute l’institution a accueilli et adopté. Il ne signifie rien. C’est un S 1 tout seul élevé à la dignité d'un symptôme qui fait lien social, un trait aussi bien qui borde la jouissance. Il ne sert qu’à ça. Inutile de l’interpréter, que du contraire. Il faut considérer le potiron comme le symptôme du sujet que l’institution a reconnu et respecté, promu même, comme il se doit. Le potiron en tant que symptôme du sujet constitue son point de capiton.

Dans La Lettre Mensuelle, Eric Laurent oppose l’institution qui fait valoir des S 1 en tant qu’idéaux du moi à l’institution qui accueille et respecte les S 1 que constituent les symptômes des sujets qu’elle héberge. Je le cite : « […] il y a beaucoup plus de fonctionnements du signifiant-maître, de fonctionnements du point de capiton que la civilisation en a envisagés. Il n’y a pas que le maître et les identités qu’il assigne qui peuvent fonctionner comme point de capiton. Le symptôme en est un. C’est ce qui fait la place particulière dans la pratique à plusieurs de la pratique du hors sens. […] Il s’agit pour nous de ne pas oublier cette équivalence centrale entre S 1 et symptôme. Le mathème du travail du psychanalyste en institution c’est S 1 @ œ . » 2

Une interface

Définissons à présent les coordonnées de ce champ d’investigation que constitue ce numéro des Feuillets du Courtil . Le RI 3 se situe à l’interface de la psychanalyse appliquée à la thérapeutique et de la pratique à plusieurs.

Je propose de nous orienter dans ce numéro à l’aide de la boussole que le docteur Lacan met à notre disposition dans son « Acte de fondation ». Il y précise ce qu’il faut entendre et ce qu’on est en droit d’attendre de ceux qui veulent inscrire leur travail dans cette section qu’il qualifie de psychanalyse appliquée. Contribuer à l’expérience analytique suppose d’une part « la critique de ses indications dans ses résultats », d’autre part « la mise à l’épreuve des termes catégoriques et des structures que j’y ai introduits comme soutenant le droit-fil de la praxis freudienne. » 3 Voilà ce que l’on attend de nous au RI 3 . Les textes qui sont présentés ici et qui ont fait le matériel de cette journée ont été choisis pour promouvoir ce débat. Deux textes, l'un de Monique Kusnierek, l'autre de Jean-Robert Rabanel, faisant office de relance du débat, ont été ajoutés aux textes des interventions de cette Rencontre PIPOL.

Ce débat qui a eu lieu au sein du RI 3 en juin 2003 situe un moment dans le processus de notre réflexion. Nous ferons une nouvelle fois le point sur notre pratique à plusieurs les 4 et 5 février 2006, lors de nos VII èmes Journées du RI 3 . Ces Journées se feront sous le titre prometteur : Entrer en institution, modalités subjectives, accueils différenciés.

A vos agendas donc.

* Nous reprenons à titre d'éditorial, l'introduction de Bernard Seynhaeve à la simultanée RI 3 de la Rencontre PIPOL (Programme International de recherches sur la Psychanalyse appliquée d'Orientation Lacanienne) qui s'est déroulée à Paris les 14 et 15 juin 2003.

1 Cf. E. Lambeau, N. Lesnicki, E. Streveler, « Sophie et les potirons », Préliminaire, Publication du Champ freudien en Belgique, 14-15, hiver 2004, pp. 45-49.

2 E. Laurent, « Acte et institution », La Lettre Mensuelle, Paris, ECF, 211, septembre 2002, p. 28.

3 J. Lacan, « Acte de fondation » (1964), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 231.