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Présences du transfert

Juillet 2007

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Editorial
Gil Caroz

Logique du transfert dans la psychose
Alfredo Zenoni

Répondre au transfert ?
Jean-Louis Aucremanne, Le temps du transfert
Dominique Haarscher, Quel transfert ? Quelles réponses ?
Geert Hoornaert, Mutisme et événement de corps
Aline Lambert, Marc Minnen et coll., Une pratique à plusieurs traits ...
Thierry Van de Wijngaert, Les usages de l'institution aux antipodes de tout contrat thérapeutique
Laurence Malghem, D'une impasse à une issue possible
Agathe Merlin, Créer un nouveau genre

Circulation des corps
Brigitte Duquesne
Céline Aulit, Circuler, c'est d'abord s'extraire dans l'Autre
Maud Ferauge, « Moi, j'aime la rime... »
Pierre-Yves Gosset, D'une conclusion à l'autre
Bogdan Kusnierek, Un suspens pour un autre Autre
Sophie Louis, Léa ou la petite fille qui portait l'Autre sur son dos
Thomas Roïc, « Roule à toute vitesse dans toutes les rues ! »
Véronique Mariage et Alexandre Stevens, Conclusion de la Journée

Séminaire de la Bibliothèque des Feuillets du Courtil
Bernard Seynhaeve
Nassia Linardou-Blanchet, Quand le père n'arrive plus à organiser le monde
Bernard Porcheret, Manœuvre du transfert, séparation et traitement de la jouissance en institution
Mayse Roy, Donner au sujet sa chance inventive


EDITORIAL Feuillets du Courtil n° 27

Editorial, par Gil Caroz

Ce numéro des feuillets du Courtil, sous le titre « Présences du transfert », s’inscrit dans une des préoccupations les plus actuelles des Ecoles de l’AMP. Il suffit de mentionner deux événements majeurs – le Congrès de la New Lacanian School, « Naissances du transfert », qui s’est tenu à Athènes en mai 2007 et les Journées de l’Ecole de la Cause freudienne qui se dérouleront à Paris en octobre 2007 sous le titre « Notre sujet supposé savoir » – pour se rendre compte que nous sommes conduits aujourd’hui à aborder la question du transfert, sans doute du fait des particularités de l’état de l’Autre contemporain.

Le titre « Présences du transfert » a des résonances heureuses. Il nous rappelle tout d’abord l’enjeu politique qui motive l’intérêt porté une fois de plus sur ce concept fondamental de la psychanalyse. En effet, il s’agit pour nous de marquer quelques points concernant le mode de présence du psychanalyste dans ce monde. D’une part, une présence dont le mode est de faire exister un savoir textuel corrélé à un sujet supposé, là où le savoir des manuels et des experts prétend couvrir le tout du champ de l’humain. D’autre part, une présence qui ne s’abstient pas d’intervenir sur les modes de jouissances contemporains, là où « l’avenir des marchés communs » prophétisé par Lacan a permis à l’objet a de monter librement au zénith.

De fait, il y a une présence accrue du transfert psychanalytique qui est due à l’élargissement de notre champ clinique depuis Freud, grâce à Lacan et Jacques-Alain Miller. Certes, nous n’abandonnons pas les « standards » de la psychanalyse. Nous tenons toujours à la définition lacanienne du transfert qui suppose un savoir et un objet agalmatique dans l’Autre. Mais les avancées de la recherche psychanalytique permettent une application de notre « clinique sous transfert » bien au-delà des névroses. La possibilité de manier le transfert dans des cas qui répondent à une logique d’une « érotomanie généralisée », c’est-à-dire des cas qui incluent un noyau paranoïde dans leur structure, est aujourd’hui acquise. Il est importent de saisir dans ces cas l’inversion de la direction de la supposition : c’est l’Autre qui suppose un savoir au sujet qui détient l’objet de son côté. Dans ce sens, vous trouverez une vraie orientation du maniement du transfert dans l’article d’Alfredo Zenoni publié dans ce numéro.

Si nous n’avons plus de doute concernant une présence possible du transfert dans la paranoïa, nous ne reculons pas non plus, comme l’indique Alfredo Zenoni dans le même article, devant une étude des manifestations du transfert dans la version schizophrénique de la psychose, soit quand l’Autre est inexistant ou évité. Nous pouvons considérer que le Courtil, comme d’autres institutions appartenant au RI 3 , constitue un laboratoire pour ce travail de recherche. Les études de cas nous permettent de constater des modalités de transfert qui s’installent malgré tout grâce à différentes interventions du praticien. Ces dernières consistent, soit à se réduire à une version minimaliste de l’Autre que le sujet peut supporter, soit à s’introduire comme un élément dans les circuits signifiants et pulsionnels que le sujet met en place, soit encore à opérer par un certain forçage en proposant au sujet un nouveau signifiant qui peut lui être utile.

Au-delà des structures, il convient de mentionner ici la présence du psychanalyste auprès de sujets « déboussolés », traversés par les malaises de notre temps. Ecrasés par la montée au zénith de l’objet a, ces sujets se trouvent exclus de l’inconscient en tant que celui-ci dépend du lien signifiant. Concernant ces sujets, Jacques-Alain Miller nous propose la formule « le transfert est le pivot du sujet supposé savoir » à la place de la formule traditionnelle « le sujet supposé savoir est le pivot du transfert » 1 . Autrement dit, il faut l’amour, un amour sans doute laïcisé et au-delà du père, afin de créer un lien. Le lien signifiant est condition de l’élaboration d’un savoir inconscient dans la névrose ; le lien à l’analyste restaure un rapport à l’humanité chez des sujets psychotiques en état de débranchement extrême.

Nous sommes là dans une zone de recherche et d’invention. Pour prendre un exemple, le texte de Jean-Louis Aucremanne que vous trouverez dans ce numéro nous donne une idée du souci d’installer le transfert, de brancher les débranchés dans un cadre institutionnel. La position du sujet débranché, entre non-séparation et laisser-tomber, exige un maniement particulier pour éviter l’éjection du praticien de sa place dans le transfert, tout en se préservant des débordements et des risques d’une relation thérapeutique intenable.

Pour terminer sur les « présences du transfert », rappelons la présence du désir de l’analyste dans la cure 2 . Si l’ouverture de l’inconscient est l’affaire du sujet supposé savoir, la présence de l’analyste et surtout de son désir correspond et répond à la fermeture de l’inconscient et à la dimension du transfert que Lacan appelle « mise en acte de la réalité sexuelle de l’inconscient » 3 . Il nous faut en effet rappeler cette nécessité de présence dans un monde où, comme c’est le cas en Grande-Bretagne, il existe des pratiques de thérapie qui espèrent court-circuiter la présence du thérapeute en proposant un traitement du symptôme par ordinateur.

Bonne lecture !

1 J.-A. Miller, « Une fantaisie », Mental, Revue internationale de santé mentale et psychanalyse appliquée, New Lacanian School, 15, février 2005, p. 27.
2 Cfr. le livre de G. Brodsky, L’argument, dans lequel elle articule les deux dimensions du transfert, Collection rue Huysmans, Publication de l’ECF, Diffusion Navarin Seuil, 2006, pp. 174-183.
3 J. Lacan, Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964), Paris, Seuil, 1973, pp. 137-138.