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Le désir et la faim
Mars 1998


Editorial, par Dominique Holvoet

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Le désir et la faim, clinique psychanalytique de l’oralité

4è colloque de l’ACF-Lille - 11 janvier 1997

Herbert Wachsberger, Questions orales

11

Dominique Guilmot, Un lien indissoluble

17

Sylvie Boudailliez, La parfaite me bouffe

25

Pr Philippe Jean Parquet, L’oralité au regard de la clinique

31

Franz Kaltenbeck, Surdétermination d’un symptôme anorexique

35

Augustin Menard, Comment une anorexique vient à l’analyse ?

45

Brigitte Duquesne, Réponse sans voix

49

Sylvie Cousin, Alcoolisme et délire, quelle structure ?

55

Emmanuel Fleury, Boire ou se pendre

61

Incidence clinique de la puberté

Entretien avec Yves Beaunesne, metteur en scène, A propos de l’Eveil du Printemps de F. Wedekind

69

Alexandre Stevens, L’adolescence, symptôme de la puberté

79

Véronique Mariage, incidence de la puberté dans les psychoses infantiles

93

Gil Caroz, Irréaliser le crime

99

Serge Vandenhemel, Le Capitaine De la Barre

105

Yves Vanderveken, D’une possibilité de travail de cure en institution

113

Régine Cecere, Le père et la prison, modalités d’un recul devant le sexuel

123

Pierre-Yves Gosset, Que suis-je dans l’Autre ?

129

Ludovic Quinonero, D’une névrose à l’autre

133

Récit de cure

Jean-Pierre Rouillon, L’absence de l’analyste

143


 

 

Éditorial, par Dominique Holvoet

Que l’être parlant ne puisse se fier à l’instinct pour la régulation de ses besoins, les nombreuses études cliniques qui composent ce numéro rendent compte à leur façon de cette thèse centrale pour la psychanalyse. S’y côtoient des travaux très articulés, appuyés par des développements théoriques qui permettent de resserrer une question autour d’un axe conceptuel et d’autres qui relèvent déjà de l’articulation clinique, donc qui sont des constructions, des interprétations de l’expérience mais dont le compte rendu reste ouvert à l’hypothèse, à l’essai d’interprétation, à la découverte non encore formalisée, ou encore à l’aperçu pris dans l’expérience d’un point théorique précis. Autoriser ce mode de témoignage participe de l’orientation donnée depuis le départ à notre publication, à savoir, présenter à la critique notre travail d’élaboration et de recherche sur deux axes : le travail en institution et le problème de la structure et des limites de la psychose (1). Il s’agit donc d’un travail en cours, avec ses errements, ses tâtonnements, voire ses erreurs mais aussi ses points d’appuis, ses formalisations, voire ses avancées théoriques et cliniques. Au lecteur qui chercherait le point le plus abouti de la formalisation, l’articulation clinique bouclée et sans faille, ce livre n’est pas pour lui ! A celui qui souhaite débattre avec nous, critiquer, voire disputer nos élaborations, nous ouvrons nos colonnes et offrons ce modeste feuillet à sa vigilance constructive. A ce lecteur, dont vous êtes, nous donnons rendez-vous à Lille les 30 et 31 janvier 1999 pour les quatrièmes journées du RI3 qui se tiendront sous le titre dont nous devons la « trouvaille » à Jacques-Alain Miller : « Points d’ancrages. La création des repères subjectifs en institution ». Ce numéro se conclut sur un premier article qui témoigne du débat en cours, en préparation à ces journées. Jean-Pierre Rouillon, qui travaille dans l’institution de « Nonette » (Clermont-Ferrand), nous a transmis un récit de cure avec un sujet autiste adulte dans lequel il interroge l’effet surprenant de la vacance temporaire de l’analyste.

L’ensemble de ce numéro se déploie à partir du caractère non pertinent de l’instinct pour rendre compte de la régulation des besoins chez l’être parlant — que ces besoins soient d’auto-conservation (la faim) ou de reproduction (la sexualité). Deux volets articulent donc cette thèse, l’un à partir d’une clinique psychanalytique de l’oralité, l’autre à partir de l’incidence clinique de la puberté. Sur les deux versants, il se démontre l’inexistence de tout instinct qui viendrait répondre de façon automatique et univoque aux besoins. S’il n’existe nul instinct pour le « parlêtre » mais bien la pulsion, de même le besoin ne peut s’articuler que si l’on y adjoint la demande et le désir.

Les interventions, ici rassemblées, du quatrième colloque de l’ACF-Lille démontrent, exemples cliniques à l’appui, qu’il n’y a, pour l’animal parlant, pas d’instinct quant à l’alimentaire. Anorexie mentale, boulimie, alcoolisme, trois phénomènes pathologiques que notre époque distingue, le montrent à l’envi. Herbert Wachsberger, directeur du colloque, posait donc la question : le désir est-il un meilleur repère ? Reconnaître la pulsion orale dans le cours d’une analyse permet de situer à leur juste place des phénomènes tels qu’un épisode de boulimie ou des acting out, comme celui du célèbre cas de « l’homme aux cervelles fraîches » commenté par Lacan. La pulsion orale à l’œuvre dans la névrose ou la psychose se laisse interpréter différemment, le méconnaître peut conduire à une dérive désastreuse de la cure. Cette question délicate de l’oralité a été traitée lors du colloque de l’ACF-Lille de janvier 97. Nous remercions nos collègues de l'ACF pour leur heureuse et fidèle collaboration à la présente édition.

L’incidence clinique de la puberté constitue la seconde partie de ce volume. Elle fait écho à la journée d’étude du Courtil de septembre 1997, organisée cette année par Philippe Bouillot. L’adolescence étant, dans le champ psychanalytique, une entité non pertinente en tant qu’unicité symptomatique, nous lui avons préféré l’étude de l’incidence clinique de la puberté. En effet, l’adolescence est pluri-symptomatique et le réel en jeu à la puberté impose au sujet des remaniements divers qui touchent tant le savoir que les identifications ou encore le fantasme. C’est pourquoi, en conclusion de cette journée, Alexandre Stevens proposait de considérer l’adolescence comme symptôme de la puberté. L’adolescence constituerait dès lors la série des réponses possibles à ce surgissement d’un réel à la puberté. De nombreuses vignettes cliniques rendent compte de ces effets et du travail particulier du sujet psychotique pour y répondre. La rencontre avec la sexualité, l’autre sexe et son désir, peut causer le déclenchement d’une psychose. Qu’en est-il par ailleurs pour les sujets dont la psychose est déclenchée dans l’enfance ou depuis toujours ? Existe-t-il une clinique différentielle de l’incidence de la puberté pour le psychotique selon le sexe ? Ces questions, les exposés publiés ici tentent de les résoudre, chaque fois à partir de la singularité du travail d’un sujet dans le cadre de son séjour en institution. Enfin, nous ne pouvions traiter de l’adolescence sans évoquer l’œuvre exquise et scandaleuse que Frank Wedekind raconte magnifiquement dans son « Eveil du Printemps ». Nous avons profité de la création par Yves Beaunesne d’une adaptation de cette pièce pour aller la voir ou la revoir. Yves Beaunesne a eu la gentillesse de nous accorder un entretien que nous publions en ouverture de cette rubrique. L'entretien, que nous devons à notre collaboratrice Monique Senhadji, nous a spécialement intéressé par la façon dont le metteur en scène a entrepris le travail avec de jeunes comédiens, à peine sortis de « leur » adolescence. Pour Yves Beaunesne, l’adolescence ne se réduit pas naïvement à une crise. Comment pourrait-il en être ainsi puisqu’elle est symptôme et donc signe d’un malaise propre à la civilisation. L’adolescence n’est pas un phénomène qui s’inscrit dans le fil des rites de passage des sociétés anciennes. Bien au contraire, elle constitue une rupture d’avec ces rites. C’est l’absence de tels rites qui ouvre au savoir vertigineux sur le sexe. Ainsi, pour Y. Beaunesne, « l’adolescence est un état permanent et la bascule est constante entre les adolescents qui ont des poussées de maturité et puis qui retombent dans l’adolescence, et des adultes qui ont des moments de crise infantile dans lesquels brusquement ils reviennent à cet état d’acné boutonneux, pour repartir après à l’état adulte ». Avec Yves Beaunesne, nous avons retrouvé quelque chose qui fait notre quotidien au Courtil, lorsqu’il parle du théâtre comme d’un art de quincaillier : « On trouve des solutions concrètes à des problèmes que pose le texte, des choses toutes petites, toutes simples, techniques parfois. » Avant de vous laisser découvrir notre quinzième Feuillets, je lui laisse donc la parole pour conclure : « Si les adultes refusent aux adolescents les mots sur l’intimité, peut-être est-ce simplement parce qu’eux-mêmes n’en disposent pas. "Je n’ai pas de mots pour cela ou je ne peux pas répondre", serait déjà une forme de clarté féconde. »

 

Dominique Holvoet
Mars 1998