8/9

Désir, Demande et Idéal en institution
1ère journée du RI3
(11 et 12 juin 1993)
Juin 1994


 

Éditorial

B. Seynhaeve, Le Courtil a dix ans

5

A. Di Ciaccia, Correspondance

Place d'une clinique analytique en institution

V. Mariage, Le Courtil, une expérience de la surprise

13

Ph. Lacadée, La marque de la subversion freudienne

21

Ph. Bouillot, Comment transformer ou repousser à l'infini la rencontre du sujet psychotique avec son Autre

29

Désir et parole

Anne Lysy-Stevens, Le scandale du désir

37

Muriel Bal, De la constitution de la plainte à la subjectivation du symptôme

41

Monique Marot, Les chaussures de l'Autre

47

Claude Lagast, Illustration clinique du transfert sous la forme d une demande massive d'amour

51

Frédéric Declercq , Le désir de savoir dans son rapport à l instance paternelle : conséquences pour la cure

55

Bernadette Lemaire-Diricq, Enfants sans parole, énigme du désir

59

Transfert et interprétation

Geert Hoornaert, Psychose et échec du fantasme

69

Anne Weinstein, La plus divine des hystériques

77

Nathalie Gueysen, Clinique des petits bouts, petits bouts de cliniques

85

Pascale Besserer, Pratique de la parole et psychose

89

Marie-Françoise De Munck, L'analyste comme « plus-un »

95

Peter Walleghem, Le transfert dans la psychanalyse des enfants : la polémique entre Mélanie Klein et Anna Freud

101

Le malaise et l'institution

Dominique Holvoet, Le programme de la civilisation... et celui de la psychanalyse

111

Dominique Delplanche, La colère

119

Sylvie Boudailliez, Le corps et la demande dans la psychose

125

Monique Damave, Est-il possible d inscrire le travail de peinture dans le champ de la clinique analytique ?

131

Hervé Damase, Qu'advienne un fou, alors...

137

Le maître et son envers

Bernard Seynhaeve, Le discours du maître, qu'en faire ?

145

Yves Vanderveken, Institution, Nom-du-Père et discours de l'analyste

151

Athéna Lazarou, Demande en institution

159

Françoise Deprost, « L'envers » du décor

165

Jean-Pierre Rouillon, « La part prise »

171

Les conséquences du réel

Philippe Hellebois, A propos de l'« introduction de la dimension psychotique dans l'éducation du débile »

181

Monique Vlassembrouck, Le psychotique et l'Autre : conséquences de la paternité forclose sur le symbolique

187

Jean-François Cottes, Structure psychotique et psychose

193

Dominique Haarscher, Le désir de la mère et le choix du sujet

199

Katty Langelez, Transfert et place de l'Autre dans la psychose

207

Alfredo Zenoni, Inventer une institution

213

Le travail du psychanalyste

Virginio Baio, Cito, tute, iucunde, une clinique avec le sujet autiste

223

Guy Poblome, Comment un sujet psychotique vient à la parole

229

Jean-Robert Rabanel, Prendre abri dans le discours

233

Guil Caroz, Victoire du sujet

243

Alexandre Stevens, La psychanalyse appliquée

251

Relance

Jean De Munck, Sur le « Maître éclairé »

261

Hommage à José Cornet

José Cornet, Travail social et psychanalyse. Abords de la maltraitance sexuelle intrafamiliale

279

 


Editorial du numéro 8/9,
par Bernard Seynhaeve

Le Courtil a dix ans

Le Courtil a dix ans *. Nous savons le poids du symbolique. Au-delà d’un événement que nous comptons fêter joyeusement, cet anniversaire sera l’occasion d’un travail d’élaboration. Une occasion pour nous de tenter encore de formaliser quelque chose de cette praxis originale que constitue, pour une institution, la référence à l’éthique de la psychanalyse. Vous le voyez, votre participation à ces journées de travail aura pour nous une importance toute particulière dans ce moment de notre dialectique institutionnelle. Si le Courtil est né d’un débat, il se pose aujourd’hui comme une question qu’adresse la psychanalyse à tous ceux qui y travaillent. Je tâcherai de vous montrer en quoi ce que vous avez à nous dire doit nous faire avancer dans ce débat qui nous occupe et nous préoccupe toujours.

Reprenons-en les termes. L’I.M.P. de Leers Nord a été fondé dans les années cinquante par une communauté de religieuses : « Les Filles de la Sagesse ». Un souci de rigueur dans le travail les a conduites à rechercher assez vite la collaboration de professionnels de la santé mentale. Plus tard, un psychanalyste puis des psychanalystes — d’ailleurs reconnus comme tels par la direction de l’époque — ont été embauchés. Mais dire que des psychanalystes travaillent dans une institution n’est pas encore dire que l’institution se réfère à la psychanalyse, est traversée par le discours de l’analyste. En effet, pendant plusieurs années l’institution était essentiellement pédagogique. Sa visée consistait à répondre à la demande qui lui était adressée. Pour être plus précis, l’institution répondait à la demande pédagogique des parents. Je sais qu’à cette époque les psychanalystes ne seraient pas restés dans l’institution si celle-ci était restée sourde à la question qui lui était adressée par-delà la demande.

Je me souviens par ailleurs des questions que moi-même je me posais au début des années quatre-vingts. Poser la question : faut-il répondre à la demande ? supposait déjà que non. Plus tard je découvrais que cette question faisait l’hypothèse de l’inconscient et introduisait la dimension de la cause.

C’est à cette même époque qu’Alexandre Stevens joua son va-tout — je l’ai compris plus tard, ce n’était pas présenté ainsi— en me demandant de pouvoir fonder le Courtil. Vous le voyez, ce projet venait à croiser mes propres questions. J’étais donc intéressé. Davantage même, je voulais y participer. Véronique Mariage y fut d’emblée aussi. Heureuse conjoncture. En la personne de Louis Deroubaix, présent parmi nous, je remercie notre Conseil d’Administration de nous avoir soutenus.

En septembre 82, nous ouvrons donc dans une ferme une petite unité de vie avec quelque quinze enfants de l’I.M.P. qui, bien que présentés comme débiles, étaient psychotiques ou névrosés. Depuis, le Courtil n’a cessé de se ré-inventer. En 88, nous créons deux extensions. Un an plus tard, nous publions les Feuillets du Courtil. En 92, forts de l’expérience passée, nous fondons le Courtil n°2 composé d’un Centre de jour, des Extensions et de deux nouveaux lieux de vie : les Appartements du Courtil et le Courtil Centre Adultes. Le nouveau Courtil accueille jusqu’à quatre-vingts enfants, adolescents et jeunes adultes psychotiques ou névrosés. Entre temps, les publications des Feuillets du Courtil se poursuivent. Le n° 7 vient de paraître. Nous mettons aujourd’hui, avec ces journées, le n° 8 et le n°9 en chantier.

En dix ans, le Courtil s’est fait son style. Je cite Alexandre Stevens :

« Le Courtil se caractérise par sa référence à la clinique psychanalytique appuyée sur la lecture des textes de Freud et de Lacan, sans négliger aucune autre référence théorique utile à sa formalisation. L’exigence de formation pour toute personne qui y travaille se déduit de cette prémisse. Cette clinique a acquis un style particulier par le mode d’intervention mis en oeuvre dans la pratique et largement travaillé avec d’autres, spécialement nos collègues de l’Antenne 110. Ce travail a produit des résultats, réussites et échecs. [...] Il faut reconnaître que notre mode de travail s’est progressivement adapté surtout à des psychotiques qui parlent et donc qui délirent à l’occasion et à des névrosés prêts à subjectiver une plainte.

Avec les séminaires et les groupes de travail qui se tiennent à Leers, avec notre articulation étroite au Champ freudien et à l’Ecole de la Cause freudienne, avec enfin la publication des Feuillets du Courtil, notre style est également orienté par l’exigence de transmission. C’est par là que nous pouvons témoigner que notre visée en institution est, malgré ses paradoxes, celle de l’éthique psychanalytique (...) » (1).

Aujourd’hui, chacun qui travaille au Courtil est confronté dans la clinique à un réel qui interroge en permanence sa praxis. Vous le découvrirez dans ces journées. A côté des autres, je soulèverai quant à moi une question relative à la demande adressée à l’institution; question qui s’inscrit dans le titre de ces journées.

Premièrement, contrairement à l’adulte, l’enfant ne s’adresse pas spontanément à l’institution. Il est adressé à l’institution et est ainsi mis a priori en position de ne pas avoir de demande. Il est considéré dans ce procès comme non désirant. On considère que sa demande se confond avec celle de l’autre, en l’occurrence, celle de ses parents. Or, lorsqu’un être parlant adresse à un analyste une plainte — plainte dont il peut à l’occasion faire porter la cause par un petit autre, objet de son affection —, on ne voit pas pourquoi on s’occuperait de l’objet de sa plainte. Accepter un enfant sans autre forme de procès, c’est d’une part, prendre le risque de donner consistance au fantasme parental, d’autre part forclore le sujet qui peut advenir d’une demande chez l’enfant.

Deuxièmement, la demande des parents comporte en soi sa réponse. S’ils s’adressent à une institution de soins ou pédagogique, c’est qu’ils ont, dès avant avoir sonné à notre porte, une petite idée de ce qu’ils en attendent. Leur enfant refuse leur signifiant maître. Ils font porter sur lui le poids de leur plainte et s’ils consultent c’est qu’ils sont en panne dans leur savoir. Nous sommes, nous, supposés combler le vide qui a troué leur savoir. Nous sommes censés savoir les solutions, les remèdes; nous possédons les techniques pédagogiques, psychologiques ou médicales qui — ils en ont l’espoir — imposeront enfin l’Idéal parental. Voilà leur demande. Il s’agit donc, dès ce premier temps de la demande, de les introduire à la dimension de la cause; opération qui consiste à maintenir vide une place de l’x du désir dans l’Institution. Cette introduction d’entrée de jeu à l’au-delà de la demande fait parfois basculer le discours du maître, auquel les parents convient l’institution, sur son envers.

Vous qui venez de l’Antenne 110, de Nonette et d’ailleurs, et qui avez choisi de faire une place au discours de l’analyste, dans cette tentative de formalisation de l’impossible que constitue pour une institution le paradoxe de la référence à l’éthique de la psychanalyse, nous vous invitons à prendre position. Vous qui ne connaissez pas d’expérience institutionnelle ou qui en connaissez une autre, nous attendons avec une certaine impatience vos remarques et vos questions.

Bernard Seynhaeve
Juin 1993, allocution d'ouverture au première journée du RI3

 

NOTE

(1) A. Stevens, L'Agenda du Courtil, n°1, sept. 1992


Lettre de Antonio Di Ciaccia, fondateur de l'Antenne 110 (Bruxelles)

Rome, le 11 juin 1993

Chers amis,

Il m’est impossible aujourd’hui d’être avec vous.

Je le regrette, mais l’organisation du Congrès du Groupe Italien de l’Ecole Européenne de Psychanalyse qui aura lieu à Rome samedi et dimanche prochains, et la préparation de l’Assemblée Générale des Membres et Correspondants du Groupe Italien qui aura lieu vendredi 18, m’ont demandé plus d’efforts que prévu.

Mais, empêché d’être présent, je voudrais encore plus fermement manifester mon témoignage de l’esprit de travail qui anime nos amis du Courtil.

Le travail qui est en oeuvre dans une équipe comme celle du Courtil est $ paradoxalement $ un travail à la fois sur le fil d’une longue tradition et en rupture avec elle.

Il est sur le fil de la longue tradition par quoi notre histoire nous a appris à reconnaître les éléments d’une chaîne à travers laquelle les enfants et les adolescents se repèrent pour tenter de devenir adultes.

Ce travail est le travail de chaque société, effectué avec plus ou moins de bonheur par rapport à la structure inconsciente.

Mais là où votre travail est en rupture avec la tradition a son origine exactement au point où la tradition n’arrive plus à véhiculer le désir d’un sujet.

C’est ici que ce travail $ travail de rupture avec la tradition $ se révèle un travail nouveau, inédit, dont le but n’est pas le maintien d’une chaîne signifiante, mais la promotion d’un sujet désirant.

Dès lors, ce travail, que la tradition conçoit comme perpétuant un savoir-faire, réalise en fait la transmission d'un savoir de la structure.

Bien que à Rome, je suis avec vous à Tournai.

Amicalement,

Antonio Di Ciaccia

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